Dans une autre entrée, nous avons analysé les différents personnages attribués à l’acteur Nicolás Rodríguez[i]. Bien que le générique du film indique qu’il représente le pilote Márquez, dans les scénarios publiés (sauf Gallimard) il se voit confier le rôle de Mercery. Et comme nous l’avons montré, son rôle principal est celui de García. Mercery apparaît également dans une autre séquence de l’escadrille, en tirant avec une mitrailleuse sur le stand de tir (séquence XXVIII, bien que la seule phrase qu’il ait prononcée, faisant référence au personnage de Schreiner, ait été supprimée : « pauvre homme »).
Ce n’est pas un cas unique. Par exemple, l’attribution du rôle de González à Miguel del Castillo est une erreur qui s’est transmise à travers les différentes études sur Sierra de Teruel[ii], alors qu’en réalité il est joué par José Telmo[iii]. Mais dans le cas de Mercery, un véritable désordre se crée d’où surgit une perle : sa femme.
Commençons par indiquer que, de même que certains personnages du roman L’espoir ont été retrouvés comme transcriptions de personnages réels[iv] (comme Attignies comme reflet de Paul Nothomb, ou Manuel de Gustavo Durán, sans oublier Magnin dans un rôle proche de Malraux lui-même), dans le cas de Mercery, il ne parait pas qu’il s’était inspiré d’un personnage historique.
Dans un petit livre sur L’Espoir, où sont analysés différents personnages de ce roman, on nous parle de Mercery[v] : « Il avait tout quitté, y compris sa femme, afin que le monde fût meilleur. Idéaliste et généreux, il se fait passer pour « capitaine », mais n’est en fait que capitaine de pompiers ; avec ses bottes et sa moustache grise en barre, ses constantes références à sa femme, il se distingue par ses moustaches grises et ses références constantes à sa femme. C’est un extravagant, un personnage hors-série, mais là aussi la générosité l’anime jusqu’au sacrifice : pour sauver un pompier, il mourra dans les flammes »[vi].
Dans les scénarios, il y a certains plans liés à Mme Mercery, qui n’apparaissent pas dans le montage final du film[vii] et sont marqués ici en italique. Plus précisément, dans la séquence XXVI, il y a le dialogue suivant :
MERCERY (à Saïdi) : Camarade, Madame Mercery était ici (à Madrid) le 16 juillet au Congrès de Philatélie. Le 20, il m’a écrit : un homme ne peut tolérer l’indignité de ce qui se passe ici. Une femme, Monsieur Magnin ! Une femme !… Mais j’étais déjà parti. Je suis au service de l’Espagne… »
Moment où García intervient :
GARCÍA : Mercery, je suis ton ami, parce que tu es idiot et pur ; souviens-toi de ça. De quel parti étais-tu ?
MERCERY : Indépendant, camarade, toujours indépendant.
Non seulement la première partie de cette conversation a disparu du tournage, mais aussi un épisode de la même séquence, plus tard, après une intervention blasée de Pol : «Je suis venu parce que je m’ennuyais.» Le texte indique : « García dessine, avec son stylo plume, ses moustaches et sa barbe, la photo qui représente une dame habillée à la manière de 1900. »
GARCÍA : Mort au fascisme !
Plan de Mercery de profil. Il a fini de fermer ses bottes et se tourne vers le cri de García.
MERCERY : Garcia ! Malheureux ! La photo de Madame Mercery !
GARCÍA : La préféreriez-vous sans barbe ?
Toute cette démonstration machiste n’a finalement pas été reprise dans le film, mais elle a laissé une trace. Si le lecteur regarde attentivement les dernières secondes de la Séquence XXVI, lorsque les aviateurs décident de se rendre au champ de tir, Mercery lui-même se dirige vers la gauche de la porte et démonte un tableau (de Mme. Mercery), le laissant sur une étagère. Nous aimerions connaître le visage de sa femme bien-aimée.
EN SAVOIR + :
L’ESCADRILLE ESPAGNE : Madrid – Albacete – Valence.
NOTES:
[i] https://www.visorhistoria.com/lenigme-de-nicolas-rodriguez/
[ii] Même dans des libres prestigieux comme : MICHALCZYK, John J, (1977). André Malraux’s Espoir: The propaganda/art film and the Spanish Civil War. Mississippi University. Page 159.
[iii] https://www.visorhistoria.com/le-bal-des-generiques-les-acteurs-2/
[iv] THORNBERRY (1977): 218.
[v] BOCHET, Marc (1996). L’espoir de Malraux. Paris, Hachette Livres (Repères Hachette). Page 54.
[vi] MALRAUX, André (1996) L’espoir. Paris, Gallimard. Pag. 94 et 95, et pour sa mort, page 493.
[vii] Par exemple : MALRAUX, André (1968) Sierra de Teruel. Mexico, Ed. Era. Page 92.