Il n’est pas habituel dans VISORHISTORIA d’offrir la totalité du texte du scénario de Sierra de Teruel. Et encore moins dans le cas d’une séquence qui n’apparaît pas à l’écran. Dans le cas de la XI, il s’agit de réfléchir sur la précarité du tournage, qui n’a pas permis d’intégrer au montage des plans apparemment si faciles (à peine quatre plans)
Tout d’abord, regardons le texte dans son intégralité. Pour ce faire, on compare les deux versions dactylographiées du scénario, existant à la Fondation Max Aub[i] et à l’Institut Valencià de Culture[ii], dans laquelle ont été relevées les corrections manuelles pertinentes vraisemblablement effectuées par Max Aub dans les deux cas (en rouge les variations, et ce qui a été changé a été aussi barré). Il a lui-même corrigé la première publication du scénario, dans la maison d’édition Era de Mexique (1968)[iii], avec une certaine simplification dans le texte des citations, de sorte que nous avons mis en évidence en bleu ce qui a été enlevé ou ajouté dans cette première édition par rapport aux texte basique tapé.
Par la suite, les scénarios parus en 1989 (Avant-scène Cinéma[iv] et Filmoteca Valenciana [v]) sont conformes à ce qui a été publié dans Era. Un cas encore plus mystérieux est celui du scénario publié en France par Gallimard en 1996[vi], qui reproduit ce que l’on peut voir à l’écran (même en variant l’ordre des séquences) avec les dialogues en forme bilingue, mais aussi les séquences non incluses dans le montage, qui ne sont alors qu’en français. Dans le cas de la séquence XI, un encadré est inséré avec l’affiche conçue par Denis Marion pour combler les lacunes de l’intrigue (voir image). Reste pour un autre moment la comparaison globale de toutes les versions mentionnées du scénario, les quatre édités et les deux dactylographiés.
Examinons maintenant le texte proposé (en espagnol), et voyons autant que possible la raison pour laquelle une séquence aussi facile à filmer n’a pas été incluse dans le montage final, malgré les efforts et le soin apportés à la conception et à la rédaction du scénario.
Première considération : les personnages.
Deux figurants apparaissent sans phrase, qui n’auraient certainement pas présenté de difficulté d’incorporation ou de remplacement. Ils font partie du groupe qui avait quitté la ville grâce à l’héroïsme suicidaire de Carral (séquences VIII-X, tournées à Tarragone). Il s’agit de PEDRO et JUAN. Comme curiosité, Je vous offre leurs images dans des séquences précédentes. Ce qui est encore plus curieux, c’est le fait que celui qui joue Juan est un figurant différent (selon le scénario et ce qu’ils disent) dans la séquence IV (droguerie) et VII (tourné à Tarragone, quand ils voient le canon)
Le seul protagoniste qui devait apparaître dans la séquence analysée est le personnage de GONZALEZ joué par l’acteur José Telmo, que nous avons déjà vu dans les séquences précédentes (IV- X sauf V qui n’est pas incluse non plus) et aussi dans les suivantes (XII-XIV) déjà à Linas, enseignant la manipulation de la dynamite aux habitants, ainsi qu’organisant l’opération qui doit empêcher l’entrée des troupes rebelles. Telmo aurait dû également participer à certaines de celles qui relataient l’attaque des villageois, armés de dynamite, contre les troupes qui assiégeaient Linas, mais elles n’ont pas été filmées non plus (XVII-XIX).
Nous n’avons pas pu savoir où se trouvait José Telmo à la fin de la guerre. Seulement, qu’il a joué dans quelques films dans les années 40[vii]. Reste donc à savoir s’il est parti en France après la chute de Barcelone en janvier 1939 ou s’il est resté. Dans le premier cas, il y aurait eu une chance de tourner les quatre plans restants dans les studios Pathé, ou même dans n’importe quel garage, mais la vérité est qu’il n’y a pas eu de tournage satisfaisant en Espagne pendant la guerre, ou qu’il n’a pas été satisfaisant si tant est qu’il ait été fait.
Deuxième considération : le décor.
Dans les deux cas, il ne semble pas avoir été difficile de trouver un garage avec quelques voitures. Même dans le contexte du rationnement du carburant, les véhicules ne devaient pas le consommer, car il aurait été possible de tourner sans qu’ils bougent. On ne peut pas non plus en déduire une raison pour laquelle la séquence XI a été supprimée.
Troisième considération : le temps.
Une hypothèse serait que, compte tenu de sa facilité apparente, il a été laissé pour plus tard, pensant qu’il pourrait être utile de remplir des moments de tournage où il ne pouvait pas faire autrement. On l’a laissé de côté, jusqu’à ce qu’ils aient dû décamper à la fin de janvier 1939. Mais même ainsi, on aurait pu tourner en France.
Quatrième considération : le raccord.
On peut imaginer une dernière hypothèse : que la séquence en question aurait été tournée à Barcelone, avec José Telmo, et les figurants, dans un garage avec plusieurs voitures, dont deux seraient chargées de dynamite, mais… la suite n’a plus pu être tournée en Espagne, mais en France, dans la capitale du département de l’Aveyron, où une seule voiture, peut-être différente des employées à Barcelone, a été disponible. On choisit donc de conserver la séquence XIII (au début de laquelle on dit : 1. González et ses compagnons descendent de la voiture qui vient de s’arrêter (plan pris depuis la place). González, Pedro et Barca entrent dans la mairie. Foule autour de la voiture. Cris et questions). Cela correspond au fait que ce plan n’apparaît pas dans le film : on voit arriver une unique voiture, avec une boîte (dynamite ?) sur le garde-boue, mais personne ne descend de lui, et encore moins une foule les regarde.
Peut-être ne l’ont-ils pas jugé pertinent pour l’ensemble du film, mais le fait est que la Séquence XI n’apparaît dans aucune des deux versions de Sierra de Teruel : celle trouvée aux États-Unis, ou celle commercialisée sous le nom d’Espoir en France.
SÉQUENCE X: La fuite. Les guérilleros parviennent à quitter la ville et se dirigent vers un garage où ils peuvent récupérer les véhicules pour se rendre à Linás.
NOTES:
[i] André Malraux-Max Aub. Guion de “Sierra de Teruel”. AMA, Sign: C 32-14. Page 29
[ii] Institut Valencià de Cultura, Fondo Max Aub. Valencia, Generalitat Valenciana.
[iii] MALRAUX, André (1968) Sierra de Teruel. México, Editorial Era. Page 48.
[iv] MALRAUX, André. Sierra de Teruel – Espoir. L’avant-scène cinéma. Nº 385. Octobre 1989. Paris. Page 37.
[v] Sierra de Teruel, 50 años de esperanza. Archivos de la Filmoteca, Año I, nº 3. Valencia. Noviembre 1989. Página 78.
[vi] En particulier : La ciudad de los muñecos (José Maria Elorrieta, 1945) et Los héroes del 95 (Raúl Alfonso, 1947) : Il a également joué un rôle secondaire dans Alma canaria (José Fernández Hernández, 1945-7), un drame musical effrayant, dont je vous épargne le lien.