Dans la séquence Ie de Sierra de Teruel, nous voyons comment un avion s’écrase, causant un décès, qui sera honoré dans la séquence II. Où et quand a-t-il été filmé ?
À Barcelone en 1938, avec des bombardements quasi quotidiens (voir article à ce sujet : Filmer sous les bombes -non publié encore-), curieusement, les aéroports n’ont pas été particulièrement endommagés. Et nous parlons au pluriel, étant donné qu’il existait plusieurs options d’extérieurs pour le tournage des scènes d’avion, qu’André Malraux a sans doute envisagées.
En plus de l’aéroport d’El Prat, connu sous le nom de Canudas, où opérait l’aviation civile, il y avait deux autres aérodromes[i]. Une anecdote racontée par Juan Milany, un aviateur de la République, nous donne une idée de leur importance à cette époque[ii].
Quelques mois après le début de la guerre, le POUM avait l'»Escola d’Aviació del POUM» (école d’aviation du POUM) sur la Rambla à Barcelone, dans un bureau au-dessus du Café Sícoris. Là, ils ne donnaient que des cours théoriques, mais pour l’instant rien d’autre, car ils n’avaient pas d’avions. À cette fin, ils décident de prendre d’assaut l’aérodrome civil de Canudas (annexé à l’aérodrome de Prat) et de le réquisitionner pour leur entraînement de vol. Un camion avec des miliciens armés se dirige vers El Prat. Mais ils ont été déçus d’être accueillis par un mécanicien, qui leur a dit que les avions n’étaient pas à eux, qu’ils pouvaient faire ce qu’ils voulaient avec lui, et que si cela ne les dérangeait pas, il les laisserait tranquilles car il était l’heure de rentrer chez lui pour le déjeuner, et ce jour-là, il ne pouvait pas être en retard car sa femme préparait une paella. Les miliciens ont déployé une bannière et mis en place une surveillance. Au bout d’une heure, un représentant du département de la défense de la Generalitat est arrivé, leur ordonnant de partir immédiatement. Ils se sont lancés dans une tirade bruyante, jusqu’à ce qu’un aviateur «aux multiples galons» arrive, au moment où un avion survolait le camp, menaçant de les bombarder. Finalement, le représentant de la Generalitat leur a promis qu’une solution adéquate à leur manque d’école serait étudiée et trouvée, après quoi les assaillants sont montés dans leur véhicule, rentrant chez eux satisfaits d’avoir sauvé leur honneur.
Une carte de 1936[iii] nous donne une idée de l’emplacement des trois aéroports de la municipalité d’El Prat de Llobregat : L'»Aeródromo militar» (ou «De los marinos»), établi en 1916 au lieu-dit La Volateria ; le Latécoère (plus tard Aéropostale), fondé par les Français dans les années 1920, où se trouvaient la plupart des vols internationaux, et celui appelé Canudas, construit en 1923, siège initial de l’Aéroclub de Catalunya, qui est devenu une partie du Serveis d’Aeronáutica de la Generalitat, à usage civil. Dans lesquels d’entre eux ont été tournées les extérieurs des séquences I et XXV, XXVI (début seulement), XXVII et XXVIII de Sierra de Teruel ? Pour chacun d’entre eux, le lieu de tournage sera analysé, mais donnons d’abord un aperçu.
Voyons une vue aérienne de chacun d’entre eux :
Mais il y a un indice qui peut nous aider : au début de la séquence XXVI, dans laquelle les aviateurs discutent des raisons pour lesquelles ils ont rejoint le combat, le même bâtiment apparaît que dans la séquence Ie, mais si on le regarde en détail, Il y a un très court plan, d’à peine une seconde, dans lequel
apparaît un groupe d’hommes, de la gauche, qui font apparemment un entraînement. Il est donc très possible que les deux scènes aient été tournées à l’aéroport militaire de La Volatería, puisque dans les deux autres, tous les bâtiments ont un toit à deux versants, (voir le pavillon marqué sur la photographie du champ de La Volatería). Et pas seulement cela, mais avec une certaine proximité dans le temps, si on regarde la façon dont leurs interprètes s’habillent : août, septembre ou tout au plus octobre 1938. Nous verrons si, en plus de la séquence I, les autres ont également été filmées ici.
Il convient de mentionner que l’équipe de tournage de Sierra de Teruel se trouvait également sur l’aérodrome de Sabadell, où ont été tournés les plans de la séquence XXX, montrant des avions en réparation ou sans moteur, pour indiquer l’asphyxie que la non-intervention provoquait dans l’armée de la Seconde République. Mais les extérieurs complètement plats et clairs ne suggèrent pas que les scènes susmentionnées aient pu y être tournées.
Enfin, et sans que l’on sache s’ils ont été utilisés par Malraux, nous complétons cette entrée par la localisation de trois autres aérodromes dans les environs de Barcelone[v].
LA GARRIGA-LLERONA : Le plus petit (400 mètres de piste), à l’automne 1937, a été étendu à 1100 mètres, recevant deux unités de combat en mai 1938, bien que provenant du vieux Natatcha.
CARDEDEU-VILAMAJOR : 2 pistes de 900 mètres, avec un angle de 30º. Dans la seconde moitié de 1938, il abrite une unité indépendante de deux escadrons équipés d’avions Grumman canadiens.
MONTORNÉS-MONTMELÓ : Construit en juin 1938, avec une piste de 1200 mètres et un grand dépôt de bombes. Il a également été utilisé comme école de pilotage.
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[i] Pour l’histoire de l’Espagne d’avant-guerre, très intéressante thèse de doctorat : COROMINAS, Lluís (2017) : Historia de los aeropuertos de Barcelona y de las airlines que operaron de 1931 a 1936. https://www.tesisenred.net/handle/10803/406129.
[ii] ALBERTÍ, Santiago et Elisenda (2004) Perill de bombardeig ! (Barcelona sota les bombes 1936-1939). Barcelone, Albertí Editor SL. Page 47, citant : MILANY, Joan de (1970). Un aviateur de la République. Barcelone, Nova Terra. Pp. 22-26.
[iii] http://www.xtec.cat/crp-elprat/mediloc/actes/text/curs02/0203JosepFerret.pdf/
[iv] FERRET, Joan Lluís (2009). L’Aviació i el Prat de Llobregat 1936-1959 (Quelques photos intéressantes à l’adresse : http://www.orgulldebaix.cat/blog/es/tag/delta-del-llobregat-es/).
[v] GESALÍ i BARRERA, David (2008). L’aviació militar al Vallès Oriental durant la Guerra Civil, in : Anuari del Centre d’Estudis de Granollers.