LE BAL DES GÉNERIQUES : Les acteurs-1
Dans l’article précédent, nous avons analysé les différents génériques qui apparaissent dans les deux versions de Sierra de Teruel, ainsi que dans les scénarios publiés. Aujourd’hui, nous allons nous pencher sur l’enchevêtrement d’absences et de confusions dont ont souffert les noms des acteurs impliqués. Il est curieux de voir comment cela se transmet du scénario initial (1968) au plus récent (1996). La faible présence des acteurs au générique des films est transmise aux publications.
Dans ce premier volet, nous analyserons quatre de ces acteurs : les trois présents au générique des films plus le protagoniste le plus présent et réduit au silence dans ceux-ci.
Nous commençons par un tableau synoptique, puis nous les analysons individuellement.
LES PRÉSENTS : Dans les deux versions du film, seuls trois acteurs apparaissent au générique. Leur biographie est analysée dans d’autres entrées, ici juste un commentaire sur sa présence.
MEJUTO (Severiano Andrés Mejuto Carballo. Olivenza, 30.1.1909 – Madrid, 22.2.1991) : Dans le rôle du Capitaine Muñoz. Acteur ayant fait carrière dans le théâtre d’avant-garde au sein du Club Teatral Anfistora[i], fondé par García Lorca. Selon ses souvenirs[ii], il était dans l’armée en tant que capitaine quand Alberti et María Teresa León l’ont appelé pour participer à une pièce de théâtre, alternant ainsi les tranchées avec la scène (¿ ?). En février 1938, il devient capitaine de la 3e section de la 72e division[iii], dissoute en mars et réorganisée en avril. Quelques mois plus tard, on lui demande de collaborer au film.
Il a participé aux séquences III, XXVI, XXXIV et XXXV. Il a tourné les derniers plans en France, en exil. Il poursuit son activité théâtrale en Argentine, avec Margarita Xirgu. À son retour en Espagne, il participe à des films connus, tels que Campanas a medianoche (Orson Wells, 1965) et La escopeta nacional (Luís García Berlanga, 1978). Sa biographie a mérité plusieurs entrées sur ce site.
JOSÉ LADO (José María Lado : La Havane, 13.9.1895 – Madrid, 17.10.1961) : Il incarne José le paysan, acteur professionnel avec une activité au théâtre qu’après la guerre il étend au cinéma jusqu’à sa mort. À la fin de la guerre, il reste en Espagne et tourne immédiatement Manolenka (Pedro Puche, 1939) puis El clavo (Rafael Gil, 1944).
Il apparaît dans les séquences XII, XX, XXIII et XXXIV, toutes tournées en Espagne, au cours de l’année 1938.
NICOLÁS RODRÍGUEZ (Nicolás Rodríguez Menéndez, Madrid, 21.1.1898 -México DF, 27.2.1966) : Avec lui, le désordre commence. Dans le scénario édité par Max Aub au Mexique[iv], il apparaît comme jouant MERCERY, le membre de l’escadron international, un personnage du roman L’espoir. Cependant, dans les deux versions du film, il apparaît dans les génériques comme « pilote Márquez ».
Nicolás Rodríguez était déjà apparu au cinéma avant la guerre (La señorita de Trévelez : Edgar Neville, 1936). À la fin de la guerre, il s’exile au Mexique, où il mène une activité cinématographique importante, bien que secondaire, dans une centaine de films[v], dont le premier est Ella (Ramón Peón, 1946).
Dans Sierra de Teruel, son rôle est également secondaire, mais pluriel, puisqu’il joue GARCÍA, dans la séquence XXVI (dans laquelle, curieusement, il coïncide avec Mercery, joué par un acteur inconnu). Il avait également une phrase dans la séquence I, qui apparaît dans le scénario, mais pas dans le film. Il joue également, dans le rôle de MÁRQUEZ, dans les séquences XXIII (avec des phrases coupées du scénario) et XXXVI et XXXIX, où ses brèves apparitions ont également été coupées. En bref, un acteur de remplissage qui n’était peut-être pas présent à un moment donné du tournage, mais qui, curieusement, est reconnu dans le générique des deux versions du film.
Il s’agit peut-être d’un défaut de mémoire de la part de Max Aub, qui était chargé de la première édition du scénario de Sierra de Teruel, dans son exil au Mexique. Il n’est pas le seul, comme nous le verrons dans le prochain article.
JOSÉ SANTPERE (José Santpere Pei, Barcelone, 1875-1939). La grande absence au générique du film, comme est reproché par sa fille dans une interview télévisée[vi] (même elle se trompe en indiquant que le rôle de son père était celui de commandant «Porta» et non «Peña»).
Santpere était un acteur très connu à Barcelone, où ses vaudevilles triomphaient au Paralelo. Son rôle de commandant Peña est le plus important du film, jouant un rôle de premier plan dans les séquences I, II, III, XXIII, XXIV, XXV, XVII, XXIX, XXX, XXXI, XXXII, XXXIII, XXXIV, XXXV, XXXVI, XXXIX. Il y aurait eu une raison si les trois mentionnés (Mejuto, Lado, Rodríguez) avaient été présents lors du montage en exil, en juin 1939, mais ce n’est pas le cas de Lado. Une autre raison possible serait que l’édition française a été faite plus tard, après la mort de Santpere le 8 septembre 1939. Raison pauvre et indigne. Je m’étonne et m’intrigue que si André Malraux et Max Aub étaient présents lors du montage de la copie utilisée lors des premières projections, à l’été 1939, avant qu’elle ne soit interdite, ils ont oublié le protagoniste principal du film, bien que pendant le tournage ils avaient souffert indiciblement pour adapter son style comique au rôle sévère et tragique du commandant Peña.
Le deuxième volet, consacré aux autres acteurs et à leur rôle dans Sierra de Teruel, sera publié prochainement. De nouvelles surprises nous attendent.
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[i] MORLA LYNCH, Carlos (2008). En España con García Lorca. Sevilla, Ed. Renacimiento. Page. 466.
[ii] Sierra de Teruel, 50 años de esperanza. Archivos de la Filmoteca, Año I, nº 3. Valencia, Filmoteca de la Generalitat Valenciana, página 284.
[iii] González-Tablas Sastre, F.J. (2016) Dos sombras y una guerra. Page 113. Voir: http://www.mcu.es/ccbae/es/catalogo_imagenes/grupo.cmd?path=11564
[iv] MALRAUX, André. (1968) Sierra de Teruel. México, Ed. Era. Page 15.